Pour ses « acquisitions contemporaines », le Louvre invite depuis plus de vingt ans des artistes à réaliser une œuvre originale avec l'atelier de la Chalcographie. La commande consiste en une invitation à venir graver à l'atelier, où les artisans accompagnent les artistes et les font bénéficier de leur maîtrise des techniques anciennes. Cette année, ce sont Annette Messager et la jeune Rosanna Lefeuvre qui se sont prêtées au jeu.
Pour répondre à la commande du Louvre, Rosanna Lefeuvre a arpenté les salles de peinture française du XVIII° siècle et de peinture flamande du XV° siècle. La jeune artiste, formée au design textile et à la photographie, se singularise par la mise en œuvre de ces deux pratiques : elle tisse des motifs sur des toiles et y imprime ses photographies numériques. Elle obtient ainsi de souples tableaux textiles, riches en effets de matière, d'une grande sensualité, qui trahissent une véritable passion pour les étoffes, les drapés et les corps féminins qu'ils voilent ou dévoilent. Là encore, Rosanna Lefeuvre s'est attachée à la représentation d'un vêtement, au plissé complexe et raffiné, qui laisse deviner une femme dont le corps est pourtant presque totalement absent. Elle dépeint la beauté d'un vêtement, mi-nature morte, mi-portrait, tout en exacerbant celle de la nudité. Elle explique : « Je me suis arrêtée sur un détail de La Laitière de Greuze qui porte une robe dont la construction, en tant que motif, m'intéressait particulièrement. Elle intègre un corsage en V dont la forme et le plissé autour des hanches marquent et dévoilent le corps. » Mais l'artiste a dépassé la simple contemplation du tableau : « Avec un ami créateur, Antonin Simon Giraudet, j'ai recréé cette robe dans de nouveaux tissus : un velours d'un violet profond et un tulle d'un orange intense. Ce choix a été inspiré par les superpositions opérées par Hans Memling, notamment sur un des personnages de La Vierge et l'Enfant entre saint Jacques et saint Dominique. Un léger voile blanc recouvre une tunique noire et n'est visible que par ses plis. » Lefeuvre a photographié cette robe sur un modèle, puis a dessiné et gravé cette nouvelle image sur le cuivre. La technique de la gravure semble se prêter idéalement à la manière de l'artiste, qui peut continuer à jouer des palimpsestes et travailler effets de matière et de contraste grâce à l'association des encres et à la superposition de deux plaques de cuivre, une héliogravure et une aquatinte. Le résultat de ce soigneux processus de création est virtuose et somptueux.
Céline Delavaux